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Noms de lieux de Martinique : la toponymie de la Martinique et son évolution dans le temps

Agnès Faure
1 octobre 2019
Cet article fait suite à une conférence de vulgarisation scientifique proposée par Rolande Bosphore, docteure en histoire, sur la toponymie en Martinique.
Carte de la Martinique
Carte de la Martinique
Carte de la Martinique

La toponymie est l'étude des noms de lieux et de leur évolution. La toponymie va également permettre de retrouver à quel moment et par qui les noms ont été donnés et ainsi contribuer à renseigner l'histoire des lieux.

 

Origine du nom de la Martinique

Le nom de l'île a lui-même connu des évolutions. Les premiers habitants, les Kalinago l'auraient nommée Iouanacaéra ou Yanacouaera, l'île aux iguanes/île aux serpents. Elle prendrait ensuite le nom de Matinino (différentes graphies dérivées) qui signifierait île sans père (ma-sans, -inin : père, -no : suffixe marqueur du pluriel) ou île aux femmes. L'explication encore fréquente, qui voudrait que Christophe Colomb ait donné le nom de Martinique en l'honneur de Saint-Martin lors de son deuxième voyage entre le 11 et le 12 novembre (date de la mort de Saint-Martin) est erronée car Christophe Colomb ne s'est pas rendu en Martinique à cette date. Le fait concerne l'actuelle île franco-hollandaise de Saint-Martin et non la Martinique dont le nom dériverait bel et bien de Matinino (voir l'article de Thierry L'Etang De Matinino à Martinique, variantes toponymiques, cartographiques ou textuelles dans « Cahiers du patrimoine », n° 26, 2008, p. 20-23).

Le nom Martinique n'apparaît que tardivement, vers la fin du XVIe, voire au début du XVIIe siècle.

Bien qu'on retrouve le terme Madinina dans l'oeuvre du Père du Tertre au XVIIe siècle, la signification d'« île aux fleurs » est, selon L'Etang (opt. cit.), « fantaisiste [...] dépourvue de toute base historique ou linguistique ». Assez récente (seconde moitié du XIXe siècle), elle est liée au développement du tourisme. La plupart des fleurs qu'on trouve alors en Martinique ne sont pas des espèces endémiques. Les routes ont été fleuries sur le passage des américains venant visiter l'île en 1902, après l'éruption de la Montagne Pelée, ce qui a pu populariser le terme.

Les autres noms de lieu en Martinique

Dans la majorité des pays, les noms géographiques ont été créés par les habitants de la région et se sont transmis oralement. Ce n'est pas le cas dans les colonies où les noms ont été changé par volonté de conquête et de domination et éventuellement à cause de la barrière de la langue.

 

Noms issus de la colonisation et de la période esclavagiste

Les noms sont donnés par les officiers qui prennent possession des îles en chassant les indigènes. Ces noms cherchent à asseoir la domination des colons sur les îles.
Noms provenant de patronymes : beaucoup de noms de lieux en Martinique sont issus des patronymes des colons. Les paroisses seront nommées par les colons et les religieux. Par exemple, Saint-Pierre a été nommé par Pierre Belain d'Estambuc. 
Noms à cause des esclaves : Contrairement à ce qu’on croit, les noms ne sont pas donnés par les esclaves. Les colons disent : il y a des marrons là, donc morne Marron. Fond gens libres : les premiers affranchis. Ou bien vient d’un nom Jean Libre (cf plus bas).
Héritage kalina : les colons donnent le nom Pilote au chef Kalina, Rivière Pilote, Case-Pilote. Autres noms kalina :  Arlet, Macouba, Macabou, Carbet
Noms venant de la religion, colons venant sous couvert d’évangélisation : Sainte-Marie, Saint-Esprit. La religion catholique se retrouve dans les noms de lieux. Paradis, Jeanne d’Arc, médaille...
Hommage aux faits d’armes : morne Pavillon, baie des Flamands (bataille entre français et hollandais), rivière du Galion (bateaux espagnols)...
Noms reflétant l’économie : place du marché, rue Paille…
Noms des animaux : Lamentin, Morne Carette (tortue), Fond serpent...
Toponymie en fonction du relief, de la végétation, du climat : Morne Coco, Morne Gommier, Bois Blanc, Morne Calebasse, Acajou...

 

Noms donnés aux alentours de l'abolition

Après l'abolition, de 1857 à 1862, des Africains immigrent sur l'île, avec des contrats de travail. Un premier convoi arrive de Sierra Leone avec 284 engagés pour 6 ans, a priori sur la base du volontariat. Un deuxième convoi est arrivé dans d'autres conditions de recrutement. Ils sont appelés les "Congos". Ils demeurent dans l'île à l'issue de leur contrat et se regroupent dans des mêmes lieux qui deviennent : Morne l'Afrique, Morne Congo, Trou Congo, Nèg Djinen (nègre de Guinée).  Deux toponymes rappellent les immigrants chinois : Le Chinois à Saint-Pierre et le Col Yang Ting à Morne Rouge. Aucun nom ne semble faire référence aux immigrants indiens. Au même moment, des noms liés aux croyances sont donnés aux lieux ; les esclaves se débarrassent du carcan de l'habitation et retrouvent leur religion : le culte des ancêtres. On voit apparaître Fond Zombi (ancêtre), Fond Cérémaux (serrer les maux : petit bassin situé près de Trinité dans lequel il est dit qu'il faut se baigner trois fois pour guérir les rhumatismes, douleurs et autres maux. En sortant de l'eau, on devait lancer dans le bassin, par dessus l'épaule et sans se retourner, une pièce de monnaie).

Pour certains noms, l'origine est imprécise comme par exemple Fond Gens Libres ou Fond Jean Libre. Le premier nom désignerait les quartiers habités par des libres de couleur, comme Fond Mulâtre. Mais une autre explication serait le nom donné à la rivière Jean Libre (affluent de Rivière-Pilote) : deux "nègres libres" sont propriétaires à Rivière Pilote : Pierre Dicelement (dit Célément ou Sélément) et Jean, appelé Jean Libre de la Rivière Pilote. Le nom Libre est devenu un surnom qui a été noté sur la carte. Cf article de Léo Elisabeth Les Gens libres dans la toponymie dans Cahiers du patrimoine, n° 26, 2008, p. 80-82).

Au XXe siècle et de nos jours

Actuellement, la toponymie utilisée est une toponymie de circonstances (rue des sinistrés, après l'éruption de la Montagne Pelée ou une toponymie d'hommages ; certaines communes militantes donnent des noms en hommage à des personnalités (exemple au Lamentin).

 

Évolution de la toponymie, quelques exemples

L'évolution des noms fait souvent perdre l'histoire des lieux lors de leur renommage.

Ducos : la ville de Ducos s'appelait auparavant Trou-au-chat. Elle a pris le nom de Ducos-Bourg (aujourd'hui simplement Ducos) en hommage à Théodore Ducos, ministre de la Marine et des Colonies.

Schoelcher : la ville de Schoelcher s'appelait auparavant Case-Navire, quartier où arrivaient les bateaux. La commune de Case-Navire a pris le nom de Victor Schoelcher de son vivant, en hommage à son contre l'esclavage. Le nom Case-Navire désigne actuellement un quartier de la commune.

Origine des paroisses et des quartiers de la Martinique
Abbé Joseph Rennard, Origine des paroisses et des quartiers de la Martinique,
Fort-de-France, Imprimerie Antillaise, 1927, p.55

 

 

 

 

 

Toponymie et identité

La toponymie reflète l'histoire et nous ancre dans un territoire. Même si les petits noms tendent à disparaître (disparition du champ de canne, maisons abattues pour construire un immeuble), les noms de lieux sont à préserver car ils font partie de l'identité. Actuellement certains noms donnés ne présentent aucun sens : noms de fleurs non endémiques à la Martinique utilisés dans les lotissements qui occupent les anciens champs de canne à sucre au lieu d'aller chercher le nom cadastral.

De même, la toponymie d'hommage n'est pas très variée, les mêmes noms sont donnés : Aimé Césaire, Frantz Fanon, comme s'il n'existait pas d'autres personnes valeureuses en Martinique.

Place Bertin

 

 

 

Par contre, certains noms ne devraient -ils pas être changés en expliquant pourquoi ? La place Joyeuse à Trinité et la place Bertin à Saint-Pierre. Thomas Villaret de Joyeuse et Charles-Henri Bertin ont été chargé de maintenir l'esclavage en Martinique.

Donner des noms à des lieux n'est pas anodin. Les noms de lieux portent l'empreinte du créole et sont donc marqueurs de l'identité culturelle. Il est important de ne pas changer des noms sans respecter cette identité. La toponymie fait partie du patrimoine d'un territoire et est à préserver comme tout élément du patrimoine.

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      Pour aller plus loin

      • Marie-Eugénie, André, Danielle Marceline, Marie-Alice, André-Jacoulet, et al., Les hommes d'hier dans nos rues d'aujourd'hui : Fort-de-France, Fort-de-France, Editions Femmes actuelles, 1986.

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