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Zéphyrin et l'ouragan des sentiments

Pamphile Isch
28 septembre 2012
 Suspense, intrigues instiguées et stupéfaction : c'est le moment feuilleton !
Dessin représentant un homme condamné auquel une femme déclare qu'il est innocent
Base d'images Manioc

Cher journal,

j'ai bien du remords à entreprendre ces écrits, mais qu'importent les atermoiements alors qu'il m'est devenu vital d'établir la vérité sur mon aimé, mon cher et tendre Zéphyrin ...

Enjôlée par sa beauté mélancolique, je me suis éperdument dévouée à lui en sacrifiant aux mystères de l'amour et des passions ...

Oui, je l'aime, et il est innocent, je n'en doute point ! Je me plais à penser qu'un jour, je le libérerais, accompagnée d'un Pygmalion désintéressé et courtois. Il sera allongé, frappé par la maladie et les mauvais traitements, mais je le réconforterais et le soignerais en lui murmurant les innombrables projets d'avenirs que j'ai élaboré pour nous.

Mais qu'est-ce que la justice des hommes, cette aveugle irascible qui s'acharne sur l'objet de mon affection, et laisse toute latence aux peu avenants prétendants à l'intendance de ma vie sentimentale ? Mais je m'explique.

Dessin d'un colibri

 

Fait prisonnier pour l'agression présumée d'un haut dignitaire en l'île de Barbade, il a purgé plusieurs mois dans une cellule décrépite avant que la rumeur de son esprit éclairé ne parvienne au geôlier en chef. Celui-ci, féru de tactiques manipulatoires, a conquis par ruse l'amitié du pauvre Zéphyrin au moyen de conversations littérales qu'il a fait passer pour littéraires en citant çà et là des poètes maudits inconnus du grand public. Oui, c'est très exagéré, mais je n'invente rien !

Zéphyrin aura pour son malheur, et le mien, confessé sa passion des voyages. Aussi son hôte malintentionné a-t-il eu l'idée de lui organiser une croisière en cabine du 8ème sous-sol avec escales semestrielles dans les prisons les plus réputées des Caraïbes... Par un caprice des dieux cruels de l'iniquité, cet Odysseus des temps modernes découvre ces destinations dont il rêva tant au travers de tribulations et de tourments. Oh, que je suis malheureuse ! Impuissante que je suis, je suis indigne d'un tel amour si je n'arrive à trouver un stratagème pour le libérer ! S'il pouvait se transformer en colibri, nous susurrerions dans les bras d’Éole en volant d'un hibiscus à l'autre... Mais c'est un rêve, n'est-ce pas ? Cela m'épuise, et me rend certes parfois maussade et chimérique, mais ne sont-ce pas les vapeurs d’Éros qui m'enivrent ?

Vignette représentant une jeune femme indienne venant d'abattre une tortue à coups de hache

 

Phyllis, ma sœur, me dit folle, me morigène et m'absout de mes moindres qualités : je ne serais qu'une « écervelée névrosée prête à tout pour se singulariser. »

Que fait-elle de ma grandeur d'âme, de mon tempérament doux et patient, de mon goût pour les belles fleurs, les broderies et les animaux en papier mâché ?

J'en serais presque à croire qu'elle soit odieuse par méchanceté... Sans doute ignore-t-elle que la commisération et l'amour de son prochain sont les clés du bonheur...

Mais j'avoue que je n'y crois guère plus davantage aujourd'hui, alors que tout s'efforce de me détruire, moi et mes grands sentiments... D'ailleurs, Phyllis n'a-t-elle pas brutalement assassiné ma seule amie, ma tortue Mimosa, pour ensuite l'avoir faite mijoter avec des arômes juste à temps pour le souper dominical ? Quelle peste...

Ma da, qui vient de Mada, m'a appris que ma tactique du oui-da édicté en didacticiel face aux dégâts et abus dégradants dont se rend coupable ma sœurette, n'est guère plus qu'une défense ouverte à ses assauts sans épithètes dont la visée est de me rendre chèvre voire blette... En clair, il me faut me dégager de l'emprise de ma passivité, afin que mon tracé dans ce monde ne devienne pas source d'anxiété et de terreurs infécondes. J'y penserais à l'occasion, mais mon cœur se pâme en pleines effusions telle une cage à dindes qu'un syndrome grippal aurait inondé... Et mes larmes de couler, auxquelles je n'ai que le recours temporaire de mon précieux mouchoir... D'ailleurs, je le nettoie attentivement plusieurs fois par jour, afin qu'il soit toujours propice aux usages dont je suis coutumière. Taches et édredons font une bien mauvaise paire, tout autant que les gloutons et les desserts, me dit toujours Mère.

Mais revenons à Zéphyrin ! Oh, je sais, je ne l'ai encore jamais vu... Mais je l'ai reconnu comme mon semblable, après avoir lu ses réflexions nostalgiques... Elles me sont parvenues de bien vilaine façon, mais après tout, ne dit-on pas que les voies du Seigneur sont impénétrables ? Serait-ce un cadeau divin ? J'ai tendance à le croire, tant il a changé mon existence... Mais je m'explique. Pour cela, il me faut encore te parler de ma famille, cher journal, confident à la reliure soyeuse et aux pages éthérées...

Dessin représentant un vautour

 

Père, ambassadeur mondain aux malveillances sourdes et malignes, est un régulier pratiquant des douceurs perverses, accessibles ainsi qu'il se doit aux puissants de ce monde, me dit-on.

Aussi a-t-il ses entrées dans les tréfonds de la misère humaine, où il se complaît à humer les déshonneurs et les déchéances, rasséréné par son escorte et son statut d'intouchable corrupteur et méprisant, me dit-on encore.

Son sens aigu de l'arnaque et son manque d'éthique professionnelle lui ont d'ailleurs conféré le surnom douteux du Vautour.

Je te le donne en mille, journal : il a apprécie la comparaison et a ajouté ce rapace à notre blason familial.

Merci aux calomniateurs ...

Image représentant un chien de bagnard habillé en forçat.

 

Bref, Père a au détour de l'une de ses tournées d'affaires visité l'illustre établissement pénitentiaire de l'île de Testarossa, ancienne possession italienne dont les centaines de chevaux sauvages ont fait la réputation. Accompagné d'un aréopage composé de ses brigands d'amis, des têtes d'affiche du lieu-dit et des sous-fifres nécessaires à l'accompagnement musical (fifre et tambour), ils firent le tour de l'établissement en soulignant ça et là les caractéristiques remarquables des détenus. Voici l'une des anecdotes tout public qu'il nous a raconté en famille.

« Ainsi, un atelier de dressage de chiens a été mis en place pour renforcer l'industrie et combattre l'oisiveté. Les détenus volontaires doivent leur apprendre des tours et leur coudre de jolis atours. Les spécimens les moins doués sont voués à améliorer l'ordinaire des ingrédients du marmiton...

L'un des dresseurs, mécontent de son sort, songe à son illustre passé en essayant d'imaginer que son bonnet est en réalité un tricorne...  Son compagnon cabotin affecte une bonhomie circonstancielle. L'un des cabots devient momentanément bipède à la vue d'un bâton prêt à sortir de sa retraite, tandis que son buté camarade affiche crânement son respect de la devise : Ni dieux ni maîtres ! »

Cher journal, inutile de te dire que nous avons beaucoup apprécié cet épisode, narré avec brio par notre boute-en-train de père de famille !

Arrivant à Zéphyrin, dont la réputation de lettré accompagnait chacune de ses étapes maudites, ils s'amusèrent à ses dépens. Le gorgeant de mabi fermenté par le supplice de l'entonnoir, ils le rendirent volubile et retranscrivirent ses paroles au moyen d'un scribe atone. Chaque âme damnée de cette machination  reçut peu après une version étoffée, reliée et mise en images de ces « réflexions nostalgiques », et c'est ainsi que j'ai pu les lire en fouinant dans les papiers de Père comme il sied à une Lady rebelle et avide de libertés individuelles, me dit-on.

Ah, quels frissons n'ai-je pas délibérément recherché en relisant encore et encore ces mots frappés du sceau de la poésie et de la beauté !

Oui, je sais, je ne l'ai encore jamais vu... Mais ne voilà-t-il pas que le destin m'accorde une chance unique ! Père a remporté l'enchère relative à la prochaine escale de Zéphyrin dans notre île ! Je l'ai ouï dire au travers des portes du fumoir, alors que j'étais censée dormir...

Illustration représentant un groupe de forçats assis autour d'une sorte de marmite contenant leur repas sous la surveillance d'un garde

 

Discrètement, je me suis rendu à la geôle où il réside. En minaudant un peu, les gardiens m'ont laissé entrer, juste « pour quelques minutes », leur ais-je dis. Mon Dieu, c'est un véritable repaire de vaines et pâles reliques de leur passé, éternels rêveurs soûls à leurs illusions mortes enchaînés... Je me suis empressée le long des couloirs humides et me suis dirigée vers le « restaurant », car ainsi se nomme l'immonde réduit dans lequel la soupe commune est servie.

Oh, une soupe ! Je repense à Mimosa ! Soupir...

Après une introspection douloureuse à ce sujet, j'ai pu brièvement observer par le judas de la porte, lors du repas commun. J'y ai cherché du regard l'homme qui accompagnera mes pas mais n'ai pas pu voir son visage, car il tenait celui-ci entre ses mains accablées... 

Allons courage, mon Zéphyrin ! Je viens à ton secours ! Mais je te laisse, journal car ce soir est le grand soir ! Je vais le faire évader... Je reviendrais bientôt te parler, mais cette fois-ci je serais accompagnée du soleil de ma vie, de l'éclair de mon chocolat, du flamboyant de mes mornes, du corossol de ma salade de fruits...

Note : le feuilleton continue, il sera de parution mensuelle sur le Blog Manioc. Comme pour l'article précédent, je rappelle qu'il faut le lire avec beaucoup d'ironie à l'esprit, tout respect dû aux intentions originales des auteurs. Bonne lecture et n'hésitez pas à aller découvrir les images du fonds Manioc !

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