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Les villes des Petites Antilles #2 : Pointe-à-Pitre, Roseau. Le voyage commence...

Gregorio Bianchini
26 décembre 2018
L'équipe Manioc a décidé de découvrir les villes des Petites Antilles en exploitant les différents matériaux présents dans Manioc.org. Dans le précédent épisode, Manioc vous proposait de commencer ce voyage avec quelques extraits de l’ouvrage Historia de las Antillas. Mais il n’y a pas que des livres d’histoire, nous vous présenterons aussi des extraits tirés de romans, de récits de voyage et d'archives des administrations des villes. Le point de départ de ce voyage à l'intérieur de l’arc antillais est Pointe-à-Pitre. 
Photographie de Pointe-à-Pitre
Pointe-à-Pitre

Pointe-à-Pitre de la Guadeloupe

Photographie de Pointe-à-Pitre extraite de : Annuaire de la Guadeloupe et dépendances pour l'année 1904
Pointe-à-Pitre

 

 

Nous avons choisi de présenter des extraits du roman Mimi : mœurs guadeloupéennes. L'auteur du roman est le Guadeloupéen Léon Belmont ; de cela lui vient cette écriture capable d' immerger le lecteur dans la Pointe-à-Pitre du début du XXe siècle. À travers le récit de vie d'une jeune créole et de ses premières expériences amoureuses (avec le bel Haïtien Armand et avec Julien, un membre éloigné de sa famille), le lecteur est plongé dans une réalité aujourd'hui oubliée. Les deux extraits qui suivent donnent ainsi l'impression d'une promenade dans la Pointe-à-Pitre d'autrefois...  

« Mimi vint s'asseoir sur le petit mur qui entourait la maison et, là, rêveuse, se mit à contempler la Pointe-à-Pitre endormie. On n'entendait plus les cris des vendeurs de pistaches, ni ceux des marchandes de sorbet. Dans les rues, les réverbères brillaient ainsi que des charbons allumés. Les maisons, enveloppées des ombres de la nuit, surgissaient çà et là, pareilles à de grands fantômes. Un souffle frais, caressant, presque embaumé, passait sur la ville. Au ciel, pur de tout nuage, brillaient des millions et des millions d'étoiles… » pp. 21-22

Photographie de la place de la Victoire en Guadeloupe

 

« Il (Julien) voyait, de ses yeux perçants de marin, la belle Pointe-à-Pitre avec ses maisons à un étage, blanches dans le lointain, groupées par carrées ou se confondant pêle-mêle, son église où dominait la croix, son hôpital où peut-être agonisaient des malades qui souffraient du même mal que lui, sa rade couverte de navires dont il pouvait dire à coup sûr la nationalité, ses merveilleux îlets qui la couronnaient de verdure comme une reine, la passe où l'on voyait des bâtiments sortir du port ou y entrer doucement, les voiles à demi déployées, bercées par la brise, semblables à de grands oiseaux fatigués qui sont heureux de reposer leurs ailes dans un port d'atterrissage, les feux de Monroux et de l'Ilet à Cochons, placés l'un en face de l'autre ainsi que les deux yeux de la rade, le phare de l'îlet Gosier, la côte de la Grande-Terre, paraissant tantôt blanche, tantôt couverte d'arbres, de buissons touffus ou rabougris, au loin la Désirade qui ne se laissait deviner que comme un point minuscule posé sur la mer, Marie-Galante, la Dominique en partie et une pointe des Saintes. Entre les îlets qui enferment ainsi que le ferait une coquette ceinture, la rade de la Pointe-à-Pitre, ceux à l'Anglais et les côtes de la Guadeloupe, il voyait le « Mazarin », dont les vagues se heurtant venaient mourir insensiblement à la « Source »; dans « l'anse d'Onze Heures », il distinguait les îlets la Brèche, le Grand Ilet, le Harpon, la Hache, à Cabris et, surgissant brusquement devant eux, les deux Frégates, celles d'en haut et d'en bas; il apercevait les canots revenant de la pêche, les pirogues, les barges, toutes voiles dehors, s'en piquaient vers la Pointe; les grands pélicans qui vont par bandes, à droite, à gauche, d'un vol lourd et nonchalant, s'abattant tout à coup dans la mer qui rejaillissait en gerbes irisées par le soleil; à droite, la Soufrière, en partie cachée par les nuages, les grands mornes du Petit Bourg, projections secondaires des Deux-Mamelles, les forêts, les champs de cannes, les sucreries révélées de ci de là par la fumée qui se déroulait de leurs hautes cheminées et, plus loin, perdues à l'horizon, à demi-enfouies sous un amas de verdure, le toit de chaume des cases des petits propriétaires planteurs ». pp. 119-121

Roseau de la Dominique

Dessin de Roseau extrait de : Camps in the Caribbes : the adventures of a naturalist in the lesser Antilles

Descendons maintenant dans l’arc antillais, à la découverte de la capitale de la Dominique, à travers le récit de voyage de James Anthony Froude, écrivain et historien anglais reconnu de son vivant : The English in the West Indies or the bow of Ulysses.

Cet ouvrage permet de suivre le grand parcours de l'auteur au sein des nombreuses possessions anglaises de l'époque (Barbade, Trinidad, Grenade, Dominique, Jamaïque) et de Cuba, de décembre 1886 à juillet 1887. Ses observations sur les conditions de vie, les mœurs et la pensée des habitants de ces îles en font un témoignage d'exception. 

Notons que la perspective est celle d'un homme du XIXe siècle, avec tous les préjugés que cela comporte souvent.  Le premier passage comporte un bref rappel sur la formation géologique de l'arc antillais, ainsi qu'une description détaillée du panorama offert par la baie Roseau, qui semble magnifique aux yeux du voyageur.

« Grenada, St. Vincent, St. Lucia, Martinique are all volcanic, with lofty peaks and ridges; hut Dominica was at the centre of the force which lifted the Antilles out of the ocean, and the features which are common to all are there in a magnified form…The volcanic forces are still active there. There are sulphur springs and boiling water fountains, and in a central crater there is a boiling lake. … Roseau, the principal or only town, stands midway along the western shore. The roadstead is open, but as the prevailing winds are from the east the island itself forms a breakwater. Except on the rarest occasions there is neither surf nor swell there. The land shelves off rapidly, and a gunshot from shore no cable can find the bottom, but there is an anchorage in front of the town... The situation of Roseau is exceedingly beautiful. The sea is, if possible, a deeper azure even than at St. Lucia; the air more transparent; the forests of a lovelier green than I ever saw in any other country. Even the rain, which falls in such abundance, falls often out of a clear sky as if not to interrupt the sunshine, and a rainbow almost perpetually hangs its arch over the island. Roseau itself stands on a shallow promontory. A long terrace of tolerable-looking houses faces the landing place. At right angles to the terrace, straight streets strike backwards at intervals, palms and bananas breaking the lines of roof. At a little distance, you see the towers of the old French Catholic cathedral, a smaller but not ungraceful-looking Anglican church, and to the right a fort, or the ruins of one, now used as a police barrack, over which flies the English flag as the symbol of our titular dominion. Beyond the fort is a public garden with pretty trees in it along the brow of a precipitous cliff…» pp. 141 et 142

Dessin de Roseau, Capitale de la Dominique extrait de : Nouvelle géographie de l'Ile d'Haïti contenant : Des notions historiques et topographiques sur les autres Antilles

La description de Roseau se poursuit dans le passage ci-après, J. Anthony Froude y décrit l’atmosphère pacifique qui régnait dans la ville, mais aussi les batailles qui y ont été menées entre Anglais et Français pour la possession de l'île.

« It seemed an attractive, innocent, sunny sort of place, very pleasant to spend a few days in, if the inner side of things corresponded to the appearance. To a looker-on at that calm scene it was not easy to realise the desperate battles which had been fought for the possession of it, the gallant lives which had been laid down under the walls of that crumbling castle. These cliffs had echoed the roar of Rodney's guns on the day which saved the British Empire… The population… was only 30,000 ; of these 30,000 only a hundred were English. The remaining whites, and those in scanty numbers, were French and Catholics. The soil was as rich as the richest in the world. The cultivation was growing annually less… except close to the town there were no roads at all on which anything with wheels could travel, the old roads made by the French having dropped into horse tracks, and the horse tracks into the beds of torrents…» pp. 142 et 143

Plus bas, l'auteur explique le lien existant entre les habitants de la Dominique de la fin du XIXe siècle et la précédente domination française. La population noire parlait le créole français et les prêtres catholiques présents sur l'île, quasiment tous Français, étaient davantage estimés et obéis que les autorités anglaises.

« I had been warned beforehand that there was no hotel in Roseau where an Englishman with a susceptible skin and palate could survive more than a week… Captain Churchill, the administrator of the island, had heard that I was coming there, and I was met on the landing stage by a message from him inviting me to be his guest during my stay… His situation is the more difficult because the European element in Roseau, small as it is at best, is more French than English. The priests, the sisterhoods, are French or French-speaking. A French patois is the language of the blacks… Not a black in the whole island would draw a trigger in defence of English authority… The administrator can do nothing to improve this state of things… The administrator can do nothing to improve this state of things…» pp.144 et 145

« The only really powerful Europeans are the Catholic bishop and the priests and sisterhoods. They are looked up to with genuine respect. They are reaping the harvest of the long and honourable efforts of the French clergy in all their West Indian possessions to make the blacks into Catholic Christians. » p. 146

D'après le voyageur, dans une époque antérieure à la sienne, la Dominique était considérée comme étant un lieu de choix, une perle dans l'arc antillais. Il écrit que les efforts faits pour enrichir l’architecture de la ville paraissaient encore considérables au XIXe siècle ; cependant, l'état des routes et des maisons semblait être fort négligé par l'administration anglaise, la ville commençait à se dégrader, à tomber en ruine. 

Une scène de marché fait suite ; nous renvoyons le lecteur aux pages indiquées de l'ouvrage de J. Anthony Froude pour la lire en entier. Ce court passage permet de comprendre la mentalité de la population de la Dominique de l'époque.

« From the cathedral I wandered through the streets of Roseau; they had been well laid out; the streets themselves, and the roads leading to them from the country, had been carefully paved, and spoke of a time when the town had been full of life and vigour. But the grass was growing between the stones, and the houses generally were dilapidated and dirty… The English hand had struck the island with paralysis. The British flag was flying over the fort, but for once I had no pride in looking at it. The fort itself was falling to pieces… Dominica had then been regarded as the choicest jewel in the necklace of the Antilles. For the last half-century we have left it to desolation… In Roseau, as in most other towns, the most interesting spot is the market… The market place at Roseau is a large square court close to the sea, well paved, surrounded by warehouses, and luxuriantly shaded by large overhanging trees… Under these trees were hundreds of black women, young and old, with their fish and fowls, and fruit and bread, their yams and sweet potatoes, their oranges and limes and plantains. They had walked in from the country five or ten miles before sunrise with their loaded baskets on their heads. They would walk back at night with flour or salt fish, or oil, or whatever they happened to want. » pp.153 et 154

Livres anciens sur Manioc

 

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