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«Docteur Morestin, je présume ?» : Hippolyte Morestin, un grand chirurgien martiniquais méconnu de la guerre 14-18 (1er épisode)

Xavier Chevallier
23 septembre 2019
Né à Basse-Pointe le 1er septembre 1869 et décédé le 12 février 1919 à Paris, Hippolyte Morestin fut une importante figure du monde médical dans la capitale durant la Belle Epoque.  Brillant chirurgien à la forte personnalité, il sera amené à soigner des milliers de soldats grièvement blessés au crâne et au visage durant le premier conflit mondial, devenant un maître de la chirurgie maxillo-faciale et l’un des pères fondateurs de la chirurgie esthétique. (1er épisode)
Photographie de Morestin
Morestin pour la revue La Science et la vie, 1913
Hippolyte Morestin
Morestin pour la revue La Science et la vie, 1913

Qui se souvient de Morestin ? 

En 1922, le Cercle artistique et littéraire de Basse-Pointe pose sur la maison natale d’Hippolyte Morestin un marbre sur lequel est écrit : « Ici naquit le 1er septembre 1869 le Dr Hippolyte Morestin, éminent chirurgien qui se prodigua pour les blessés de la Grande Guerre et mourut à Paris le 11 février 1919. » Dans Galeries martiniquaises : population, mœurs, activités diverses et paysages de la Martinique (1930), de Césaire Philémon (1884-1947), on peut lire : « Morestin, grand chirurgien français, né à Saint-Pierre [sic], régénérateur de la face humaine, a rendu de grands services pendant la guerre de 1914-1918. » En 1935, Maurice de Lavigne Sainte-Suzanne (1878-1959) dans ses Conférences indique qu’à l’hôpital du Val-de-Grâce, « le Directeur de cet établissement nous apprendra qu’un enfant du pays, natif de Basse-Pointe, le docteur Hippolyte Morestin, pratiqua la chirurgie esthétique sur les grands blessés de la Grande Guerre. Légion sont les « Gueules cassées » qui lui sont redevables. »

Enfin, dans Fragments d'histoire ou Hier et aujourd'hui : à la faveur d'une promenade dans les rues et aux environs de Fort-de-France (1940), Théodore Baude (1866-1949) écrit au sujet de l’hôpital civil : « Il est à souhaiter que soit donné à cet hôpital le nom du Docteur Hippolyte Morestin, professeur agrégé de la faculté de médecine, né à la Basse-Pointe (Martinique) le 6 [sic] septembre 1869, décédé le 11 février 1919 à Paris. Fondateur de la chirurgie esthétique, il a dirigé le service des blessés de la face à l’hôpital du Val de Grâce pendant la guerre de 14-18. »   

Maison natale d'Hippolyte Morestin Basse-Pointe
Maison natale de H. Morestin, Basse-Pointe (vers 2004). Auteur inconnu.

En Martinique dans l’entre-deux-guerres, tout le monde n’a donc pas oublié Hippolyte Morestin, dont le père, Charles Amédée Morestin (1837-1901) était lui-même un médecin réputé exerçant à Basse-Pointe puis à Saint-Pierre. Il y épouse en 1867 Marie-Pauline Berté (1844-1920), elle aussi native de Saint-Pierre où son père, Pierre Charles Hippolyte Berté (1813-1869) est magistrat, comme le seront ses deux frères Emmanuel et Raoul Berté, oncles maternels à H. Morestin. De cette union entre Charles Morestin et Marie-Pauline Berté naissent 8 enfants - 3 filles, 5 garçons - dont notre futur docteur, qui est le cadet.

Les Morestin, eux, proviennent de la petite commune de Châbons, située à 40 km de Grenoble en Isère ; ils s’établissent en Martinique entre 1825 et 1830 et font rapidement partie de la classe blanche aisée de Saint-Pierre. Ils marquent de leur empreinte la citée pierrotine d’avant 1902 : Jean-Pierre Morestin (1793-1852), est chirurgien et sera maire de la ville en 1850. Son frère, le grand-père d’Hippolyte, François André Ferréol dit « Amédée » Morestin (1802-1847) y est marchand teinturier et propriétaire.

Il existe l’habitation Morestin « située à une altitude variant de 250 à 300 mètres ; ses plantations occupaient le fonds d’une gorge étroite, extrêmement humide, où roulent les eaux de la Roxelane qui arrose la ville de Saint-Pierre. » (Gaston Landes, L’avenir de la canne à sucre en Martinique, 1901; dans le centre-ville, le pont Morestin franchit la rivière Roxelane et le grand réservoir d’eau Morestin alimente toutes les bornes-fontaines de Saint-Pierre qui est en grande partie irriguée par « l’eau abondante et pure de la source Morestin captée à 7 kilomètres et qui rafraîchissait continuellement l’atmosphère en relevant la salubrité » (Annuaire de la vie martiniquaise 1936). 

Cependant ce n’est pas dans l’hydrothérapie que le jeune Hippolyte va se lancer mais dans la chirurgie.

Un parcours exceptionnel à Paris  

La Roxelane entre le pont de pierre et le pont Morestin

 

Avec son frère aîné Charles, il quitte la Martinique à 14 ans pour le lycée Louis-le-Grand où il est interne. Après avoir obtenu facilement le baccalauréat de sciences et de lettres, il s’inscrit à la Faculté de médecine de Paris en 1886. Réussissant brillamment à tous les examens, anatomiste hors-pair, il est docteur en médecine en 1894 avec sa thèse intitulée Des opérations qui se pratiquent par la voie sacrée qu’il dédie à son père. Il se spécialise alors dans la chirurgie des articulations, mais aussi celle du cancer de la bouche et de la langue. Malgré une santé précaire - il souffre de la tuberculose -, il travaille assidûment, rédigeant non seulement quantité d’articles dans les revues médicales de l’époque mais se révélant aussi un praticien d’une prodigieuse habileté manuelle. Abcès, lupus, angiomes, lipomes, kystes, tumeurs de la poitrine et du cou, brûlures, blessures, oreilles décollées, rhinoplasties, becs de lièvre… le Dr Morestin emploie toute sa science à corriger et soulager les maux,  altérations et difformités, en particulier les cas les plus graves, prenant un soin extrême à  atténuer toute trace visible des opérations, à réparer les lésions, voire à améliorer l’apparence physique de ses patients  –  la gent féminine lui en est particulièrement reconnaissante.

Nommé chirurgien des hôpitaux en 1898, agrégé de chirurgie en 1904, Morestin est donc avant la guerre un professionnel reconnu. Le quotidien La Justice, fondé et dirigé par un certain Georges Clémenceau ((1841-1929) - qui était médecin lui-même -, lui consacre un portrait dans son numéro du 7 novembre 1907 : « estimé de tous et si apprécié dans la haute société parisienne […] un regard sévère qui révèle toutefois pour l’observateur, un cœur d’or et une grande bonté […], douceur accoutumée envers les malades », peut-on y lire. Dans une brève biographie qu’il fait de Morestin en 1910, le Dr Louis Dartigues (1869-1940) parle d’un « grand chirurgien » à l’« esprit hautement et vraiment scientifique », d’une « habileté certaine et innée, bonté désintéressée et pitié envers le malade qui cherche à se cacher sous les apparences d’une impassibilité voulue » et de « son application constante à la chirurgie réparatrice et esthétique. » Enfin, dans le premier numéro de la revue La Science et la Vie d’avril 1913, un article intitulé Les grands chirurgiens français d’aujourd’hui indique que Morestin est « l’un des maîtres incontestés de la chirurgie esthétique. »

Dans un second épisode à venir prochainement, sous l'intitulé "Le Dr Morestin dans la tourmente de la Grande Guerre", Manioc vous racontera quelle fut la part déterminante de H. Morestin dans la prise en charge et le traitement des grands blessés de ce conflit meurtrier - les douloureusement célèbres "Gueules cassées". A suivre !

Audio-vidéo sur Manioc.org et autres ressources contemporaines en ligne

 

Documents sources cités consultables sur Manioc

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